PROMENONS NOUS DANS LE MOI #2
Édition 2# / Bordeaux
35 modèles
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Promenons nous dans le moi est une exploration, une étude sur le regard que les femmes portent sur leur image. Souvent dures et cruelles avec leur corps, Claire Soubrier part à leur rencontre en leur proposant une expérience dans laquelle elles “Promenons-nous dans le moi pendant que le vous n’y est pas”… est un travail photographique, sonore et éditorial. Cette série est une exploration, une promenade dans le regard que les femmes portent sur leur image, souvent dures et cruelles avec elle et leur corps. Claire Soubrier part à la rencontre de femmes de tous âges et de milieux socio-culturels différents en les photographiant sur leur lieux de vie (chez elles, sur leur lieux de travail, …), leur proposant une expérience dans laquelle elles font face à leur image, à leur beauté, à leur féminin. Elle nous livre ainsi son regard sur l’identité féminine à travers le monde.
Casting
LIEU ET DATE
Prises de vues réalisées chez les différents modèles exclusivement féminins, l'intérieur est utilisé comme un décor.
La série a débutée en avril 2016 et est toujours en cours de réalisation.
DRESS CODE
Rouge à lèvres et dispositif carton, épaules dénudées.
PHOTO ET ÉVÉNEMENT
Claire Soubrier
MAQUILLAGE
Chaque modèle se maquille.
MODÈLES
35 modèles à ce jour.
Belle comme Vénus, belle comme elle
Corinne Szabo, Historienne de l'art
« Ils croient que je ne saisis que les traits de leur visage mais je descends au fond d’eux-mêmes» (Maurice-Quentin de La Tour, portraitiste du XVIIIe siècle).
La série photographique de Claire Soubrier Promenons nous dans le moi pendant que le vous n'y est pas s’organise en fonction d’un protocole intangible : une femme est photographiée chez elle, dans son intérieur et ses objets domestiques, un cadre blanc, conçu par l'artiste, isole son buste dénudé du reste de la composition. Déclinées sous les clichés d'une série illimitée commencée depuis 2016, les mises en scène de l'artiste posent la question de la proximité identitaire de ces femmes, ainsi que de leur mise à distance par les codes culturels de la beauté, et développent une tension entre le naturel et l'artificiel.
Artefact
La fusion entre le modèle vivant et celui d’un trophée ou d'une divinité issue du répertoire hellénique classique crée en effet cette ambiguïté entre l’être et le paraître, entre le vrai et le faux, entre le naturel et l'artifice, entre l'indice photographique et sa valeur d'icône. Si la photographie est immédiate et résulte d’un enregistrement mécanique (une trace ou un indice) qui reproduit automatiquement les apparences comme un moulage, telle une vérité, l’artiste subvertit ici les pratiques habituelles du portrait en une image fabriquée où identité référentielle et identité idéalisée se font écho. Car si l'indice photographique agit sur le mode de la présence réelle immédiate, la mise en scène et le protocole imposés par l'artiste, comme autant de signes arbitraires codés, mettent à distance ce réel.
Le cadre blanc, construit en trois dimensions afin de donner plus d’effet de profondeur sur le buste nu, est une manière simple de régler le problème de l'isolement du sujet et d’affirmer sa présence dans une nouvelle « fenêtre » neutre qui « dénature » la nature de la photographie. Le cadre impose alors un nouveau point de vue dans l'image pour faire ressortir le caractère public du modèle et la mise en évidence des signes caractéristiques des codes universels de la beauté et de la mode : visage isolé et éclairé sur fond uni, nudité du buste, personnage « iconisé ». Cette construction artificielle du visage transformé en stéréotype immuable promet éternité et sublimité : la profondeur de champ du cadre blanc renverse l’effet de proximité de la scène familière rendant le corps intouchable sous son esthétique anti-naturaliste. Ces visages réduits à l’effigie, au trophée, au buste grec, figés dans une gloire intemporelle et vide, dissolvent l’individualité dans une beauté codifiée. Le portrait ici n'est pas l'image de la réalité mais une image construite : le visage devient un prototype servant de base d’essai à l'idéal. La référence à l'antique, symbole de vertu et de grandeur, la réduction de la présence du corps dans la métonymie du cadre, créent ainsi une syntaxe universelle visant l'éternel.
Ressemblance vs idéalisation
Pourtant si Claire Soubrier transforme son modèle en icône avec un basculement du profane et du quotidien vers le sacré et l'intemporel, la singularité de chacune de ces femmes impose à l'ensemble une présence particulière : si la scène est théâtralisée par l'artiste dans le fragment d'image et dans le protocole sériel, le fond renseigne bien sur la vie privée de la personne et sur son univers familier. Le décor (meubles, objets, livres, enfants, chiens...), le lieu photographié (salon, chambre, atelier, cuisine, jardin...lieux intimes ou de production) et la spontanéité de la pose (assise, debout, allongée...), le tout laissé à la liberté du modèle, participent à une véritable enquête sociologique sur les habitus des femmes de ce début du XXIe siècle. Les traits psychologiques individuels et l'exigence de situer l'individu dans une action, son milieu réel et son contenu moral en mettant l'accent sur un lieu et un moment précis (hic et nunc), substituent la recherche de l'homme éternel à la quête de la vérité psychologique et de la vie vécue. Par un renversement de l'image, les attitudes du sujet deviennent moins hiératiques et leur naturel donne une atmosphère plus détendue et plus intime : la gestuelle permet l’expression plus authentique de sa personnalité et de son caractère profond. Les accessoires symbolisent alors le statut de chaque femme, son métier ou sa position sociale, ses passions ou sa place au sein de la famille. Dans le cadre ordinaire de la vie quotidienne du modèle, l'artiste semble fixer les images d’un journal intime, sublimant ainsi la quotidienneté la plus ordinaire en un témoignage psychologique et social.
Praesentia
Mais si l’on conçoit aisément l’intérêt de l'environnement du modèle, le cadre monochrome, par un dernier retournement du point du vue dû à la cohabitation des deux fragments d'images, accorde à la figure cette « présence intensive » si chère à Jean-Luc Nancy dans Le regard du portrait (Editions Galilée, 2001). Le protocole imposé par l'artiste déplace alors nécessairement le centre d’intérêt de la photographie et distrait l’attention promise au fond pour se concentrer sur le « champ de présence ». La nudité du sujet, toujours en réserve de lui-même car isolé dans le cadre blanc, s 'affirme dans cette « présence du regard ». C’est ce regard qui, conjugué à d’autres agencements scénographiques, réussit à produire le simulacre d’une présence. Ce jeu ou cet écart entre le modèle et son apparence du quotidien crée de nouveau une magie, une opération de substitution qui autorise la vérité (n'oublions pas que portraire en latin signifie : « à la place de »). L'artifice de l'objet scénique permet de s'approcher une dernière fois de la réalité du modèle, en allant au-delà des apparences et de l'image sociale.
Les portraits de Claire Soubrier sont donc au carrefour de la représentation simultanée d'un individu (physique et psychologique), d'un idéal esthétique (idéalisme et beauté) et d'un contexte historique politique et social (l'image de la femme dans nos sociétés). L'artiste se situe en cela dans la réflexion traditionnelle du portrait dont la fascination pour le genre existe depuis la Renaissance : captation de ce que l'on connaît le mieux et de ce qui nous échappe le plus. A la fois vecteur de présence et d'absence, de vulnérabilité et de magie, d'artifice et de naturel, les portraits de Promenons nous dans le moi pendant que le vous n'y est pas sont les images de ce que l'on veut bien montrer et de ce que l'on cache.